Sociologie

 

 

Paul Goodman, Growing up absurd,  1959-1960,  édité en France en 1971 sous le titre de « Direction absurde »

J’ai eu envie de me pencher sur le concept de «convivialité» qui me paraît par ailleurs tout à fait de circonstance dans le contexte social, économique et politique de notre environnement direct.
Et pour cela, j’ai consacré du temps à la lecture du chapitre 11 de Paul Goodman, intitulé « Le manque de communauté », partie de l’ouvrage portant le titre américain , « Growing up absurd »,ouvrage écrit pendant l’hiver 1959-1960 et qui a été édité en France en 1971 sous le titre de « Direction absurde ».
Goodman ne parle pas explicitement de convivialité mais, comme il titre son chapitre, il insiste sur le Manque de Communauté. Il inscrit son propos en l’articulant à des considérations historiques et plus précisément révolutionnaires : Goodman nous parle des causes perdues de l’Histoire et comme telles, comment elles « hantent nos esprit comme une œuvre inachevée ».

Goodman ne nous parle pas de révolution de façon abstraite mais bel et bien concrètement de la « révolution manquée dont nous avons héritée ». Intéressé par cette question , il énumère le sort différent de celles-ci qui avortent, sont compromises, dont certains objectifs sont atteints et d’autres abandonnés donnant du fait de l’absence de changement radical l’émergence de valeurs ambiguës et empêchant l’avènement d’une société nouvelle. « Une révolution compromise tend à rompre la tradition sans réaliser un nouvel équilibre social »
Ce que souligne tout particulièrement Goodman, ce sont les retombées néfastes pour les jeunes qui auront du mal à devenir adultes. Les adultes peuvent s’adapter tant bien que mal à la société mais les jeunes ont besoin pour grandir d’une société cohérente, avec des règles de vie et une culture qui ne soit pas à caractère factice et basée sur du sensationnel.
Pour illustrer sa thèse, Goodman va lister les aspects importants de la société moderne qui n’ont de sens que dans un contexte historique spécifique en passant en revue les changements sociaux qui ont réussi et ceux qui ont échoué et met de ce fait en relief la confusion ambiante.
Il commence par l’environnement physique, il aborde les questions de technocratie, d’urbanisme et d’architecture. Puis il s’intéresse aux changements sur le plan économique et social, avec le modèle de Keynes du New Deal,(Programme de restauration économique lancé en 1932 par le président Roosevelt), le syndicalisme, la lutte des classes, le produire « utile », la position des sociologues.
Aux réformes politiques et constitutionnelles et plus précisément à la démocratie, la république, la liberté de parole, le libéralisme, les questions de ruralité, la liberté, la confraternité des races et le pacifisme.
Sont considérés aussi ce qu’il appelle « les biens moraux » tels que la science moderne, les lumières, l’honnêteté, la culture populaire
Pour terminer sur des réformes qui concernent en particulier les enfants et les adolescents : le travail, l’enseignement, la révolution sexuelle, le libéralisme.
Goodman insiste sur le fait que les réalisations présentes sont des réponses à des situations spécifiques passées. (Importance de l’historicité)
Il ne désespère pas de voir la réalisation d’un programme cohérent concernant la Liberté, l’ Égalité, la Science, la Foi, la Technologie et le Syndicalisme, etc sources de conflits importants. Il appelle à nouveau à l’expérience selon laquelle l’échec d’un seul idéal aboutit à l’échec des autres. Il donne des exemples, dont : l’échec en matière de justice sociale a des répercussions sur la liberté politique, l’autonomie scientifique et religieuse. Bref, G souligne que les différentes parties ont une influence non négligeable sur la société entière. Utopiste mais pas naïf, Goodman sait aussi qu’il y aura encore des compromis à supporter.
Il fait la liste des résultats désolants de ces compromis préjudiciables pour les individus et la société.
Je vous en cite quelques uns :

  • Des ingénieurs « en toc »
  • Une surpopulation chaotique
  • Des travailleurs indifférents
  • Un sentiment d’appartenance vide, en dehors de la nature et de la culture
  • La montée des préjugés
  • L’inutilité de la religion
  • La stupidité de l’Américain moyen
  • Le manque d’idéal des jeunes
  • Le niveau lamentable des écoles

Il précise cependant que ce tableau est exagéré et reconnaît aussi l’existence d’une culture générale, des progrès de la science, une économie d’abondance, une paix sociale et le maintien de la démocratie. Il souligne le courage des êtres humains.
Pourtant il dénonce le défaitisme et l’abdication face au Système Organisé de l’État et des consortiums (tels que IBM) et leur l’abus de pouvoir au détriment des besoins fondamentaux de la population tel que le logement, leur accointance avec le pouvoir (General Motors) et leur capacité de s’accaparer les moyens de communications (Madison Avenue et Hollywood). Il dénonce l’ambiguïté du rôle de la police et du FBI qui à la fois protègent la population d’illégalités trop criantes et en même temps la soumettent. Tout ceci est le signe de révolutions manquées (au lieu de, rejeter cet état de fait comme le ferait d’un coup de patte un lion puissant)
Mais ces échecs et ces compromis donnent matière à imaginer ce que serait la société si des changements radicaux avaient été accomplis.
Il propose alors un véritable plan de campagne :

  • Soutien par des encouragements des progrès techniques
  • Planification et intégration du travail, de la vie et des loisirs
  • Variété des constructions en accord avec leurs fonctions réelles
  • Crédits accordés pour les biens publics
  • Enseignement technique poussé pour les ouvriers et droit à la gestion des entreprises
  • Pas d’exclusion et mobilité des classes
  • Les groupes sociaux seraient des laboratoires qui s’intéresseraient à résoudre les problèmes
  • La démocratie prendrait naissance dans les réunions de citoyens
  • Diversité entre les régions soutenues et fierté des citoyens pour la République
  • Laisser s’exprimer des idées insolites
  • Laisser de nouvelles entreprises faire leurs preuves
  • Égalité entre les races
  • Essai de révéler des vocations religieuses
  • Soutien des inspirations pratiques du bon sens
  • La parole deviendrait action
  • La culture populaire serait audacieuse et passionnée
  • Les enfants auraient le droit de gagner de l’argent
  • Leur sexualité serait reconnue
  • L’enseignement se soucierait d’encourager les possibilités humaines. Dans cette société utopique nous dit Goodman, il serait facile de devenir adulte.
  • Il y aurait des quantité d’activités concrètes permettant à l’enfant l’observation, les rencontres, l’action, la connaissance et l’improvisation personnelles.
  • Goodman déplore qu’une communauté nouvelle et unie n’ait pas été crée. (Un exemple concret, c’est que l’on s’occupe trop des enfants comme s’ils constituaient une entité à part).
  • Cela est dû au fait que l’esprit de communauté et de patriotisme, comme étant la conviction qui permet de devenir adulte, ne sait pas suffisamment réalisé : « Ce n’est pas l’esprit des temps modernes qui rend notre société difficile pour les jeunes ; c’est que cet esprit ne s’est pas lui-même suffisamment réalisé »
  • Le problème, c’est que l’adulte doit faire avec ses propres situations inachevées. Il doit assumer ce mauvais héritage.
  • Mais « pour devenir adultes, les jeunes ont besoin d’un monde de situations achevées et d’une société réunifiée »
  • Conscient que cette révolution est une utopie, Goodman évoque alors des ajustements possibles en retrouvant et rétablissant les vraies proportions. En essayant de parfaire la révolution moderne dont nous avons hérité pour assurer la stabilité sociale
  • L’innovation radicale consiste à sauvegarder et développer les capacités humaines mais pour cela le ressenti de ce besoin est fondamental.

C’est le « Projet révolutionnaire des temps modernes » qui consiste en quelques changements fondamentaux réalisables mais difficiles :

  • Éviter l’enseignement et la médecine de masses
  • Encourager la création des petites entreprises
  • La production actuelle est stupide et inhumaine. L’homme doit s’adapter à la machine.
  • Donner à ouvrier voix au chapitre, lui donner une instruction suffisante pour qu’on entende son avis
  • Travailler à la décentralisation, et à la diversité des villages
  • L’industrie tournée vers la production de produits utiles
  • Redonner aux gens l’accès aux places, marchés, lieux publics, haute culture et non laissé aux mains des investisseurs pour leur profit personnel.
  • Apporter une aide financière aux immigrants pauvres
  • Équilibre à donner aux arts et lettres reconnue et nouveauté créatrice
  • Entre loisirs populaires et expérience esthétique
  • Balancer les grands ensembles tels que Madison Avenue et Hollywood par la création de petits théâtres, de petits magazines, développer une presse d’opposition
  • Empêcher que l’Amérique ne tombe aux mains des hommes d’affaires, des promoteurs et des politiciens.
  • Vigilance pour sauvegarder dans une société strictement organisée et conformiste les libertés civiques, remettre la peur de Dieu dans les polices locales et au sein du FBI
  • Donner un sens aux loisirs des adultes. Il déplore que le but actuel des loisirs assigné par L’association Nationale des Loisirs soit uniquement le plaisir. Pour Goodman, l’important est surtout, dans ce domaine aussi la mise en commun des valeurs (dans le théâtre, les fêtes, les jeux, la simple conversation.

Une telle conception des loisirs écarte la présence de la honte bloquante et réalise la grandeur. Il n’est pas étonnant pour lui, que ce qui n’existe pas dans le travail soit absent dans les loisirs.

Il termine son chapitre en rappelant qu’ une grande partie des richesses communes doit être consacrées à la mise en valeur de la liberté et de la civilisation et surtout à l’éducation des adolescents.
Enfin, je le cite : « pour disposer de citoyens, vous devez d’abord être sûrs d’avoir former des hommes »